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Il faut débattre et innover !

Dans « Flandres Aux Lions(1) », un essai décrivant la vie institionnelle de nos régions, Charles van den Eynde propose une solution innovante, dans un débat qui a besoin d'inspiration surréaliste (débat, qui au vu de l’architecture institutionnelle aujourd’hui, s’en est déjà inspiré...).
Je cite sa suggestion in extenso, avec son humour qui est une façon de promouvoir l’argumentation:

« Je ne suis pas Martin Luther King, mais j'ai fait un rêve moi aussi... Je rêve d'un véritable Etat fédéral, composé de huit provinces autonomes, rassemblées autour d'un grand district-capitale. Provinces dotées d'une large autonomie économique et culturelle. Coiffées par un pouvoir central clairement défini.
C'est, dans son principe, la structure naturelle de nos région; celles que nous connaissons depuis le XVeme siècle, depuis nos Grands Ducs bourguignons.
On s'exclamera:"Mais enfin! Vous retournez au Moyen-Age!"
Non pas: cette formule de fédéralisme provincial, parfaitement adaptée à notre époque, est celle de l'actuelle Bundesrepublik - où elle démontre toute son efficacité, avec son parlement bicaméral: Bundestag élu à l'échelon national, Bundesrat représentant les divers Länder. Système dont nous pourrions utilement nous inspirer.
On me dira que nos provinces sont trop petites pour se comparer aux "Länder" allemands. Ah oui? Il est vrai que la Bavière est immense...mais voyez les dimensions de Hambourg, de Brême, de la Sarre! Et les cantons suisses, donc! Les trouvez-vous trop petits pour la confédération helvétique?
On m'objectera surtout que ma formule nécessiterait un formidable chamboulement, une refonte complète de nos institutions et de notre "équilibre communautaire", obtenus par tant de réflexions et de compromis!
Et alors? Si votre maison se lézarde de toutes parts, ne vaut-il pas mieux la reconstruire, plutôt que de lui bricoler des emplâtres? Si nous avons fait fausse route, n'est-il pas temps de s'en apercevoir? Il n'y a que les imbéciles qui ne changent jamais d'avis. Notre Constitution, tant de fois "révisée" depuis quarante ans, peut certainement supporter un lifting de plus.

Je propose donc, pour notre Etat fédéral, les huit "länder" suivants: Brabant (province d'Anvers actuelle + Brabant flamand). Chef-lieu: Anvers; Flandre occidentale; Flandre orientale; Limbourg; Hainaut (province actuelle + canton de Nivelles); Namur (province actuelle + canton de Wavre et Jodoigne); Liège; Luxembourg.
Ces entités correspondent à de solides réalités "tribales", historiques, dialectales, économiques et culturelles. Elles assureraient l'équilibre de l'Etat fédéral. Les oppositions éventuelles y seraient variables, souvent basées sur des enjeux économiques; rarement sur des questions linguistiques. Elles rendraient inutiles les actuels parlements et gouvernements régionaux, voire les organismes "communautaires". Quelle simplification, quelle économie! Et pourtant - rassurez-vous, braves élus - il y aurait encore des "fromages" pour tout le monde, à l'échelon des gouvernements provinciaux.
Maintiendrait-on une cohésion budgétaire et sociale entre ces huit provinces fédérées? Certainement, car la solidarité serait de règle au profit des entités moins favorisées. Mais tout transfert important serait précédé d'un audit fédéral, épluchant la gestion administrative et financière de la province assistée. Les cas de mauvaise gouvernance, de gaspillage et de malversation pourraient, de ce fait, être lourdement sanctionnés!
Reste à préciser le statut de Bruxelles, district fédéral : quelque chose comme l’actuelle région-capitale de Madrid ? Parlons net : pour que cette capitale fédérale soit viable, pour qu’elle puisse remplir sa fonction (européenne autant que belge), il importe de lui donner une dimension raisonnable. Cela, beaucoup de gens l’ont compris et le souhaitent, à commencer par les Flamands de Bruxelles.
BHV fournirait peut-être une solution : Bruxelles-Hal-Vilvorde, véritablement fusionnés.
Oh, cela va faire hurler ! je touche ici à un tabou, à l’intangibilité du « heilige vlaamse grond ». C’est hors de question, ce n’est pas négociable.
Vraiment ? Réfléchissez encore… Imaginez qu’on ajoute aux 19 communes (bilingues) de Bruxelles, un nombre équivalent de communes (flamandes) de sa périphérie.  

Les avantages seraient doubles :

  • D’une part, on obtiendrait ainsi une population de 1.500.000 « Bruxellois », dont environ 600.000 néerlandophones et 900.000 francophones. ON admettra que, pour asseoir une véritable parité communautaire et administrative, cette proportion serait bien meilleure que le rapport actuel, lequel est probablement de 9 à 1. En somme, la Flandre y reconnaîtrait bien mieux sa capitale !
  • D’autre part, on règlerait à jamais l’agaçant problème des francophones « à facilités », qui se retrouveraient tout bonnement dans cet ensemble bilingue.

Je ne vois pas ce que la Flandre y perdrait. D’autant que les emplois administratifs de cette capitale reviendraient inévitablement à des bilingues, donc presque toujours à des Flamands !
Vous m’objecterez qu’une fois de plus, c’est à la Flandre qu’on demande des sacrifices et de la bonne volonté. Et pourquoi donc la capitale fédérale n’engloberait pas également quelques communes wallonnes, telles que Waterloo, Genval, Rosières ?
Je vous répondrait qu’en effet cela serait équitable ; que certes la vie de ces communes est centrée sur Bruxelles ; et que la Wallonie eut grand tort (une fois de plus) de refuser ces quelques villages à l’entité bruxelloise – ce qui mena tout droit à la « carcanisation » de la capitale, en 1960-1963. Il serait donc juste et logique de réparer cette erreur. Je n’y vois qu’une objection : cette annexion aurait pour effet d’encore augmenter la population francophone de Bruxelles…et d’y accentuer la disparité linguistique. Est-ce souhaitable ?
AU bout du compte, il serait sans doute simple – et démocratique – de consulter toutes les populations intéressées et de déterminer ainsi le nombre de communes à englober. Mais là encore, je discerne un problème : voilà trop d’années qu’on a endoctriné les habitants de la phériphérie, qu’on leur a bourré le crâne en leur présentant Bruxelles comme la « ville tentaculaire ». Beaucoup d’entre eux – des milliers de navetteurs ! – y travaillent pourtant quotidiennement. Mais on les a chauffés à blanc, on a répété aux « campagnes hallucinées » qu’il fallait sauver le Pajottenland et notamment Dilbeek – « waar Vlamingen THUIS zijn ! » (ce qui revient aimablement à dire que les autres ne le sont pas…) des empiètements de cette Babylone pécheresse, francophonissime et antiécologique, en la maintenant ferment captive d’un « Groene Gordel » sanitaire.
Dès lors, voilà : si vous désirez (re)construire un pays fédéral équilibré, doté d’une capitale appropriée, il vous faudra défaire toute cette vilaine besogne des décennies passées ; expliquer aux bonnes gens que la situation a changé ; leur chanter de nouveaux refrains ; les contraindre à la réflexion. Cela prendra du temps. Je vous souhaite bien du plaisir ! Ou alors, il vous faudra faire le bonheur du peuple malgré lui. »

La suite et ce qui précède sont un feu d’artifice de considérations franches et pied-à-terre, dans un style inimitablement belge, dont je vous recommande chaudement la lecture !
(1)    Flandre aux Lions, L’inutile guerre des Belges, Jourdan Editeur, pages 124-127


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