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La carte blanche vivifiante de Corentin de Salle sur le conservatisme de la gauche!

Une majorité « conservatrice » au Parlement fédéral ?

Corentin de Salle Collaborateur au Centre Jean Gol

Dans les colonnes du Soir, on a pu lire, ce mardi 7 juin, qu’une « majorité conservatrice » se profilait au Parlement. Cette analyse est éminemment contestable car le conservatisme s’oppose, par maints aspects, à la doctrine libérale dont se revendiquent ouvertement des formations telles que le MR et l’Open-VLD.

D’une part, le libéralisme est une doctrine progressiste et, d’autre part, le conservatisme n’est pas une attitude qui serait la propriété exclusive de la droite. Ainsi, il n’est pas abusif de prétendre que le corporatisme syndical est conservateur, que la tolérance aux dérives misogynes du communautarisme religieux est une attitude conservatrice et qu’une éthique prônant un mode de vie axé sur la décroissance et le rejet des innovations technologiques est conservatrice.

Avant d’explorer plus avant la distinction progressisme/conservatisme, disons quelques mots sur une autre distinction, très différente de la première, mais souvent confondue à tort avec elle : la distinction gauche/droite. On prétend parfois que l’axe gauche/droite est obsolète. Nous pensons le contraire. Evidemment, un positionnement de ce type est toujours relatif et contextuel (tant dans l’espace que dans le temps) : ainsi, Obama est « à gauche » des Républicains américains mais se situe « droite » du PS et même du CDH. A la fin du XIXe siècle, face au parti catholique conservateur, le parti libéral incarnait la gauche en Belgique : l’Union des gauches libérales a regroupé les libéraux progressistes et les libéraux doctrinaires. Mais, à l’intérieur d’un contexte politique donné, cet axe conserve toute sa pertinence, à condition de le considérer comme un outil et non comme une séquence ADN. C’est une grille de lecture, évolutive certes, mais néanmoins objective. En ce sens, les libéraux belges sont objectivement situés à droite sur l’échiquier politique actuel. Mais, encore une fois, « droite » et « conservatisme » ne sont pas synonymes.

Il se fait que le 13 juin 2010, les Belges ont majoritairement voté à droite. Cette affirmation peut surprendre au regard du score victorieux du PS et d’autres formations de gauche dans le Sud du pays mais elle correspond néanmoins à la réalité électorale. Jetons un œil sur la composition du Parlement : les partis allant du centre-droit à l’extrême-droite ont obtenu 60 % des voix ou, plus précisément, 89 sièges sur 150 (17 CD&V, 18 MR, 13 Open VLD, 1 De Decker, 1 ex-PP, 27 NVA et 12 VLB) alors que ceux allant du centre-gauche à la gauche en pèsent 61 (9 CDH, 13 SPA, 26 PS et 13 Groen&Ecolo). Si, du premier chiffre, nous retirons l’extrême droite (soit les 12 députés du Vlaams Belang), la droite démocratique pèse encore 77 sièges sur 150 (contre 61 pour la gauche). Ce que cette configuration nous apprend, c’est qu’une coalition gouvernementale allant du centre-gauche à la droite est mathématiquement possible (9 CDH + 17 CD&V + 13 Open VLD + 18 MR + 27 N-VA = 84 sièges sur 150) même si, politiquement, on voit mal le CDH lâcher son grand frère socialiste. Pourtant, ceux qui s’étoufferaient de rage à l’idée de constituer une majorité sans le PS sont les mêmes qui trouvèrent tout à fait normal de former un gouvernement bruxellois sans le MR en 2009 alors même que ce parti était la première formation politique de la Région bruxelloise. Il est cocasse de constater que la

gauche, quoique minoritaire (40 % des suffrages exprimés) maîtrise à ce point sa communication et bénéficie d’un tel capital de légitimité auprès de la sphère médiatique qu’elle parvient à se faire passer pour une force politique incontournable.

Quoi qu’il en soit, il existe bel et bien une majorité parlementaire de droite dans laquelle se retrouve la famille libérale. Est-ce à dire qu’il s’agit d’une majorité « conservatrice » ? Les partis libéraux ne sont pas des partis conservateurs car le conservatisme s’enracine dans la conviction soit que rien ne doit être changé soit que le passé doit être restauré. Or le libéralisme a toujours combattu le statu quo et a toujours été tourné vers le futur. Le libéralisme a puissamment contribué au renversement de l’Ancien Régime et au démantèlement de l’ordre féodal. Le libéralisme économique qui a accompagné la révolution industrielle durant le XIXe a entraîné, en l’espace de quelques générations, une croissance démographique vertigineuse, libérant ainsi l’homme de l’économie de subsistance dont il subissait les rigueurs depuis le début de l’histoire. L’élévation continue des standards matériels, l’allongement de l’espérance de vie, la démocratisation, etc. sont autant de phénomènes consubstantiels à la croissance économique découlant de l’économie de marché. Contrairement à l’écologisme qui défend une conception statique de l’économie (un gâteau à partager), qui se montre hostile à la mondialisation des échanges (« consommer local »), qui encourage les populations du Tiers-Monde à conserver leur économie d’autosuffisance et leur mode de vie

traditionnel, le libéralisme défend une conception dynamique de l’économie qui stimule le rattrapage économique par la généralisation du libre-échange entre les peuples.

Cette majorité prétendument conservatrice n’existe pas sans les libéraux (18 MR et 13 Open VLD) : 89-31 = 58 députés, soit moins que les 61 députés du centre-gauche et de gauche. Dès lors, parler de « majorité conservatrice » n’a aucun sens. On peut certes parler de « majorité de centre-droit et de droite », à la rigueur de « majorité de droite » mais il faut renoncer à l’adjectif « conservateur » qui, sous couvert d’objectivité, vise en réalité à stigmatiser un ensemble de députés démocratiquement élus. Quitte à tordre le sens des mots, on pourrait, avec davantage de pertinence, considérer les formations de gauche comme « conservatrices » : parler de « droits acquis » pour s’opposer à toute réforme permettant de fluidifier le marché du travail et favoriser son accès à ceux qui en sont exclus, prôner les « accommodements raisonnables » pour faire droit à des pratiques ultraconservatrices qu’on n’ose pas condamner de peur d’être sanctionné électoralement, invoquer constamment le « principe de précaution » pour enrayer toute politique énergétique responsable de nature à rencontrer les besoins de demain, voilà des politiques à propos desquelles le qualificatif de « conservateur » ne serait pas galvaudé.


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