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Texte de ma conférence à l'ULB: réflexions sur la Crise économique

Je souhaite commencer mon intervention par remercier les organisateurs de cette invitation à me donner l’opportunité de vous rencontrer.

Je ne suis pas un économiste mais un relativement jeune financier et relativement jeune gestionnaire. J’ai passé 6 ans dans une boîte de conseil en stratégie, un an à tenter de lancer mon entreprise, 2 ans chez Fortis au plus fort de la crise et depuis 3 ans je suis responsable des filiales d’un grand groupe actif dans le transport ferroviaire public en Belgique.

Je donne par ailleurs cours à Solvay en business plan. Je suis aussi conseiller communal MR à Schaerbeek, commune de 130 000 habitants. Je suis aussi administrateur dans quelques sociétés publiques.

Je voudrais conclure ce préambule en précisant bien que je m’exprimerai en mon nom personnel et qu’il ne faut pas entendre dans mes appréciations une quelconque position officielle du MR ni de mes employeurs. Par ailleurs, j’ai été sollicité pour cette jolie soirée… ce matin… !  et j’ai consacré mon après-midi à résoudre un tout autre problème… Mais ça n’est pas grave car sur les crises financières, beaucoup a été dit ou sera dit par les co-intervenant de qualité de ce soir. Je voulais cependant nourrir votre réflexion avec quelques éléments qui me paraissent très importants.

 [Je donne cours à Solvay en business plan au cours d’un séminaire où les étudiants ont pour mission de prendre les commandes d’une société existante et de proposer leur vision stratégique et la traduction de celle-ci dans un plan financier qui aboutit à une valorisation de la société. En fait, on demande aux étudiants de prendre la place du management et de proposer leur plan aux administrateurs de la société.

Je commence toujours mon séminaire en expliquant combien il est important de mettre en avant la dimension humaine de l’entreprise. Je demande donc aux équipes d’étudiants de bien présenter dans leurs documents les qualités de chacun de leurs membres car un investissement ou un plan est dans la plupart des cas un investissement ou un plan reposant sur les capacités humaines d’une société. Bien avant les actifs ou le mode stratégique ou opérationnel choisi. ]

Pour paraphraser Churchill, qui parlait de la démocratie, l’économie de marché, c’est-à-dire l’économie basée sur l’offre et la demande et donc sur l’échange, eh bien ce système ne sera jamais parfait. Mais on en a pas trouvé de meilleur et on en trouvera pas de meilleur. Certes, il y évidement de la place pour de sérieuses améliorations, à condition de ne pas toucher aux fondements de ce système.

On se souvient avec émotion des Snuls, avec Janin et Liberski, et leur Soulagicon. Si vous n’avez jamais vu ce sketch, je vous recommande de le visionner sur Youtube…

Cet appareil , le Soulagicon, proposait des phrases énervantes et l’utilisateur soulageait son énervement en frappant l’appareil. L’une des phrases-cultes de cet appareil est: « Beau temps pour la saison mais , c’est parce qu’on bénéficie d’un micro-climat »… une phrase par contre très pertinente émise par cet appareil génial était celle-ci : si tu ne t’occupes pas de politique mon ami, c’est la politique qui s’occupera de toi…

Pourquoi cette accroche, pour vous raconter une anecdote qui explique bien à mon sens une grave erreur du passé, le fossé hallucinant qui existait – et qui existe toujours – entre le monde de l’entreprise et celui de la politique.

En 2008, je travaille comme bras droit de la patronne de la division Merchant Banking de la Banque Fortis, une division de plusieurs milliers de personnes. Lors du second weekend de négociation pour tenter de sauver la banque en octobre 2008, un samedi matin, je suis appelé par ma patronne rue Royale, au Quartier Général de Fortis. Elle me demande « Yvan : je souhaite que tu trouves rapidement les numéros de GSM de Laurette Onkelinkx, de Joelle Milquet, de Didier Reynders etc». Un peu interloqué et me demandant comment faire, je lui réponds: « Boss, j’ai deux questions : un, pourquoi moi ? ». Elle me dit : »Tu es conseiller communal à Schaerbeek, trekt aaa plan »… « J’ai une seconde question, Boss : ces numéros, on les a pas dans la banque ? ». La réponse fut limpide… « Non »…

Ceci illustre bien une partie de la problématique Fortis en particulier et des banques plus largement. De quelle nature étaient leurs relations avec le pouvoir public. On le sait, ces pouvoirs publics jouent d’abord un rôle capital comme prêteur de dernier ressort càd que quand les prêts entre banques s’arrêtent car chacune d’entre elle a peur que sa voisine ne fasse défaut et ne puisse rembourser ses prêts, eh bien ce sont les pouvoirs publics qui doivent intervenir, via par exemple la Banque Centrale Européenne qui doit fournir le financement.

Dans le cas de Fortis, l’état a joué un second rôle : il a repris la Banque. Et lorsque l’Etat belge a décidé de prendre les choses en main, il a envoyé ses femmes et ses hommes sur le terrain, qui ont pris des décisions en mettant le management de Fortis sur la touche. Je me souviens de cette image du management de Fortis parqué dans la salle d’attente de la CBFA (la Commission Bancaire)… on ne l’écoutait plus. Le fossé entre l’entreprise et la politique s’avérait abyssal, au moment le plus critique.

Mais bien avant cela, Fortis avait décidé de ravir le joyau bancaire de la couronne hollandaise : ABN AMRO. Or il faut savoir que, comme de nombreuses nations, les Hollandais ont un certain ego et bref, ils ont très mal pris l’OPA de Fortis sur leur banque. Fortis, outre le fait qu’il avait certaines difficultés à trouver le financement nécessaire à son acquisition, s’est retrouvé rapidement coincé entre trois régulateurs: le ministre des finances, Wouter Bos, Néerlandais, le président de la Banque Néerlandaise, Nout Wellink, et la Commissaire européenne à la Concurrence, Neelie Kroes, qui était aussi Hollandaise. Et le monde politique belge ne semblait pas à l’offensive.

En outre et tout en ne souhaitant pas faire de procès d’intention sur la neutralité de Madame Kroes, les services de cette dernière ont exigé que Fortis procède à la rédaction d’un plan d’intégration de ABN AMRO de près de 20.000 pages. C’est la meilleure façon d’illustrer au moins le peu de confiance que les autorités régulantes avaient dans la Banque.

Il importe donc que les relations entre le monde politique et le monde de l’entreprise soient bonnes. Qu’ils se connaissent et qu’ils s’estiment. Pour cela, il faut qu’ils se rencontrent, se parlent et se fassent confiance.

Attention, comprenez-moi bien : je n’ai pas dit que je souhaitais une nationalisation des banques ou de l’économie. N’en déplaise au PTB. J’ai dit qu’il fallait préserver les fondements de l’économie de marché mais que le monde de l’entreprise et le monde politique devaient impérativement mieux se comprendre. Mieux se connaître. Agir comme partenaire, comme par exemple lorsque des missions princières sont organisées : là, la mixité entre entrepreneurs et hommes et femmes politiques est capitale et gage de succès.

Il faut donc par exemple qu’il y ait une meilleure rotation des carrières politiques et que nos politiciens aient d’une façon ou d’une autre des réseaux de proximité avec les entreprises. Et l’inverse. La défiance entre ces deux mondes aujourd’hui est, je pense, insupportable. Les idées toute cuites, genre : « le grand patronat vous exploite », ou bien « les fonctionnaires ne foutent rien » ou encore « les politiciens sont des vendus » sont insultantes, ne solutionnent rien et n’instillent pas la confiance nécessaire entres ces galaxies dont on a parfois l’impression qu’elles appartiennent à des univers différents.

Et donc, ma première solution ce soir est sur du long terme. Cette solution démarre de vous, étudiants à l’université. Vous êtes notre élite de demain, dans le bon sens du terme. Si vous décidez de vous engager dans le monde de l’entreprise, faites-le bien sûr, mais ne faites pas que cela. Si vous décidez de rejoindre le monde politique, faites de la politique, mais ne faites pas que cela. Engagez-vous, créez-vous des réseaux, faites vous une opinion, encouragez la dimension humaine. Votre présence nombreuse ce soir est déjà très réconfortante. Ne perdez pas l’idéal de vouloir améliorer la société, peu importe votre couleur politique et même si cette couleur change au cours de votre vie, engagez-vous.

Il y a une deuxième chose dont je voulais vous parler ce soir et qui me tient beaucoup à cœur. Il s’agit de la gouvernance d’entreprise. Je ne suis en général pas un grand partisan de la régulation, qui peut être un frein à l’innovation ou à l’esprit d’entreprise. Or la liberté est un facteur essentiel de développement économique et humain. Mais il y a un domaine dans lequel des règles de conduites doivent être mieux définies et surtout mieux mises en pratique et c’est la gouvernance d’entreprise ou corporate governance.

Vous savez que toute société possédant une forme juridique (les Sociétés anonymes etc) disposent de différents organes de gestion : les actionnaires d’une part, qui apportent leur sous dans un projet entrepreneurial et qui proposent les administrateurs. Le conseil d’administration, justement, qui rassemblent les administrateurs et dont le rôle est, une fois nommés par l’assemblée générale, est d’administrer la société et de défendre les intérêts de cette  société et enfin de choisir le comité de direction, troisième organe de gestion, qui gère la société au quotidien. Pour être complet, il y a évidement les employés, les syndicats et tous ces différents stakeholders mais mon propos ce soir vise le fonctionnement des conseils d’administration dont on a le droit de penser qu’ils n’ont pas toujours fonctionnés comme ils auraient dû dans les crises financières récentes. Je ne résiste pas à la tentation de vous raconter les grandes lignes d’une carte blanche que j’ai écrite dans le soir il y a quelques mois… Je m’intéressais et m’intéresse d’ailleurs toujours à la gestion de nos entreprises publiques.  En effet, au moment où l'on s'interroge sur les financements nécessaires au fonctionnement de l'Etat, il faut aussi analyser la façon dont l'argent public a été géré ces dernières années.

A ce titre, l'échec d’une deuxième banque belge, Dexia, mérite qu'on s'y arrête pour en tirer rapidement quelques enseignements . L a racine du mal de Dexia est sans doute un modèle économique bancal au départ: à l'aide des dépôts des épargnants belges, la banque franco-belge finançait surtout des entités publiques françaises.

L'on sait que les entités publiques locales empruntent en général sur le très long terme (30 ans) pour investir dans des écoles, dans des bâtiments publics etc. Quand elles empruntent, elles le font à des taux d'intérêts très bas car elles ne peuvent pas légalement tomber en faillite. Il s'agit donc d'un prêt relativement sûr. Mais un revirement de la situation économique peut avoir des effets dévastateurs du côté du passif de la banque, c'est-à-dire sur son coût de financement: la base des dépôts des épargnants belges ne couvrant pas la totalité des besoins de la banque, la banque doit se tourner vers les marchés. Ces marchés augmentent en période de récession les taux d'intérêts auxquels ils sont d'accord de prêter à une banque (car l'inquiétude grandit, et l'inquiétude a un coût). La banque commence à faire des pertes, puisque les taux auxquels elle emprunte sont plus chers que ceux auxquels elle prête. Il s'ensuit que les épargnants s'inquiètent et certains quittent la banque. Le cercle vicieux s'enclenche : la banque doit emprunter pour couvrir le « trou » causé par le départ des dépôts et la machine s'emballe. Cercle vicieux qui s'aggrave quand la Banque commet en outre d'autres erreurs (la vente d'instruments incompréhensibles aux communes, des investissements hasardeux dans des institutions de crédits américaines, des prêts démesurés à la Grèce etc.)

Mais au-delà de la faute originelle stratégique et des erreurs de management, c'est surtout le Conseil d'Administration de Dexia (la S.A. Dexia) qui n'a pas eu la force de contrôler son comité de direction (= le management). La raison de ce manque de force est double : le conseil d'administration était pléthorique (18 membres) et doté d'individus doués de qualités incontestables, certes, mais peu de celles que nécessitent la compréhension d'une banque et, à fortiori, le contrôle de son management.

Afin d'utiliser les meilleures pratiques, on peut se référer à l'institut belge de la bonne gouvernance (Guberna) qui recommande un nombre d'administrateurs maximum de 12 administrateurs avec une moyenne fluctuant entre 7 et 10 personnes.

Avec 18 collègues autour d'une table, comment peut-on imaginer que chaque administrateur se sente revêtu d'une responsabilité à la mesure des défis de l'institution bancaire? En termes de gouvernance, cela s'appelle la dilution de la responsabilité. Elle conduit le conseil d'administration à une passivité effroyable, chacun estimant son propre impact comme insignifiant, chacun étant convaincu que les décisions sont au final prises dans des cénacles situés à d'autres niveaux (Rue de la Loi ou à l'Elysée…).

Cette maladie est très commune dans nos institutions publiques. On la retrouve dans des institutions et intercommunales de toutes natures (Les transports en commun wallons, les Tec, sont 85 administrateurs, Vivaqua, intercommunale dans l’eau, 35 administrateurs, l’Hôpital Brugmann, 23 administrateurs, Sibelga : plus de 30…). L'attribution d'un poste d'administrateur relève souvent aujourd'hui plus de la récompense pour services rendus que de l'investiture d'une mission importante.

Le 20 septembre 2011, soit 15 jours avant la restructuration financière de Dexia du 4 octobre, le CEO de Dexia Mr Mariani donnait une conférence sur la gouvernance d'entreprise de Dexia à l'invitation de Guberna. A la question que je posais à la fin de sa conference sur le nombre d'administrateurs qui me paraissait trop important, Mr Mariani avait répondu que ce nombre était dû à l'actionnariat composé de Français d'une part et de Belges d'autre part. En outre, les Belges devaient être représentés par des Flamands et par des Francophones. Je veux bien, mais cela expliquerait pourquoi il y aurait 8 représentants par exemple (4-2-2, par exemple). Pas 18.

Pourtant, la solution est simple. Avec 8 ou 10 administrateurs dans de telles sociétés, les actionnaires (l'Etat, les communes…) choisiront précautionneusement leurs représentants. Les actionnaires disposeront aussi d'un motif fort par rapport à des individus recherchant l'aura appartenant à la fonction d'administrateur : vu le petit nombre de « postes » d'administrateur, il s'agira de les confier à des personnalités très qualifiées, compétentes. En outre, avec un tel petit nombre, chacun se sentira investi d'une importante responsabilité. Et les responsables des échecs comme des réussites pourront être clairement identifiés. On ne se livrera plus à une ridicule partie de ping-pong telle celle observée aujourd'hui : ni responsables ni coupables mais pourtant en charge : l'état, les communes, les régions, les administrateurs de la Holding Communale, de la Holding Dexia (Dexia S.A.), de la Banque Dexia, les différents comités de direction, les autorités de régulation et de contrôle etc.

Voilà donc mon point de vue sur quelques solutions tirées des enseignements de la crise. Si les exemples étaient plutôt bancaires, ils ne sont pas pour autant bancals : je suis convaincu de leur pertinence pour n’importe quel type d’entreprise.

 

Conférence ULB
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